Ah Ghost… Une personnalité à toute épreuve qui divise autant qu’elle force l’admiration. L’ovni de la scène pop metal suédoise est animé par un Tobias Forge auto-proclamé et légitimé depuis 2006 par la foule de fidèles comme le pape, enfin, plutôt comme ce qu’il représente puisque c’est à Papa Emeritus IV que nous avons à faire depuis la sortie d’Impera en 2022.
Dans ce contexte, force est de constater que l’on est surpris de voir Ghost proposer Phantomine, un EP composé de cinq reprises de titres planétaires créés par des artistes de tous horizons. D'un autre côté, on ne s'éloigne pas trop de notre zone de confort puisque certains choix de titres sont en lien étroit avec le divin et que Ghost ne s’est jamais interdit ce genre d’exercice.
Au menu de ce premier titre, « See No Evil » de Television. L’entrée en matière est plutôt légère bien qu’efficace : riffs boostés, rythmique soutenue, la petite touche Ghost avec les chœurs… alors certes, on extermine sans pitié l’esprit hippie / indie que l’on pouvait entendre sur la version originale, mais cette reprise dépoussière un titre qui a su bénéficier de la patte de Forge.
On enchaîne avec un classique, « Jesus He Knows Me » de Genesis dont le choix ne devrait pas vous surprendre. A l’écoute de la version originale, on s’imagine aisément un parallèle facile entre la voix de Phil Collins et celle de Tobias Forge. Tant dans la rythmique, pulsée et dynamique, que dans les sonorités ecclésiastiques conférées par le synthé et dans la vocation de ce titre, à savoir la dénonciation du fanatisme religieux et l’hypocrisie qui peut en découler, ce titre était prédestiné à finir entre les mains de Papa Emeritus IV. Oui, mais pour en faire quoi me direz-vous ? Eh bien tout pareil, mais plus fort. A commencer par le clip qui accompagne « Jesus He Knows Me » version Ghost. Le ton est donné, dès les premières secondes lorsque l'on tombe dans une collecte pour l’Eglise orchestrée par le père Jim Defroque, et cette phrase terriblement incisive et humoristique qui donne le ton : « You’re officially defrocked » (tu es officiellement défroqué). Du grand Ghost sans détour. S’enchaînent ensuite des tableaux d’un prêtre hypocrite, propageant la bonne parole et la seconde d’après effectuant des activités peu catholiques avec de jeunes hommes et femmes, consommant nombre de substances illicites, parfois au sein de son hummer pimpé, parfois dans des lieux où jamais on ne devrait croiser homme d’Eglise. Ce clip, au-delà de son double message qu’il faut impérativement souligner, suit la ligne directrice qui avait été insufflée par Genesis en son temps, mais en poussant le vice à son maximum si vous nous pardonnez l’expression. Les scènes sont violentes et crues, là où la suggestion était de mise chez Genesis. Alors, si vous en avez l’occasion, n’hésitez pas à faire l’exercice de la comparaison des deux clips. En tous cas, on se régale de la désinvolture de Forge, sa capacité à exposer au monde, de la manière la plus directe qui soit, des sujets extrêmement sensibles (la religion, la déviance dans ce milieu, la manipulation des masses, l’hypocrisie… On en passe et des meilleurs). Sex, drug and God the Father en somme !Parlons musique à présent. Le titre est pimpé dès les premières notes : rythmiques saturées et métallisées, chœur à foison.
Le choix des titres repris n’est pas laissé au hasard dans Phantomine. Avec « Hanging Around » de The Stranglers, on retrouve les codes bien familiers de l’univers Ghost : rythmique pop, synthé en note de fond, chœurs, guitare solo teintée de cette aura mystique… La recette qui fonctionnera inévitablement à la sauce Ghost. Rien de particulier à signaler sur cette reprise, ça fonctionne bien, évidemment pour toutes les raisons évoquées précédemment !
Attention, Ghost a décidé de s’attaquer à un monument pour la suite, à savoir « Phantom of the Opera » d’Iron Maiden. C’est un pari risqué de s’attaquer à telle œuvre, l’exercice est décemment plus simple lorsque la reprise est tirée d’un univers musical totalement différent. Si Ghost a réussi à casser le côté heavy pour assombrir ce titre, jusqu’à peut-être en perdre trop de couleurs, il est finalement moins prégnant au sein de Phantomine. On est désorientés, ce titre n’est plus du Maiden mais il n’est pas du Ghost non plus. On a le sentiment que la reprise a été trop poussée, ou au contraire, pas assez. On aurait finalement attendu un parti pris plus marqué avec des jeux sur les tempos ralentis par exemple.
Dans le genre exercice périlleux, voici Tina Turner et son « We Don’t Need Another Hero ». Etonnement, ça fonctionne plutôt bien si l’on prend ce morceau sous un angle totalement différent de la version originale. Forge a rendu ce titre fédérateur, presque comme un chant de chorale, là où Turner nous imposait un solo inégalable. D’une certaine manière, ce titre deviendrait presque plus accessible dans cette version. Le revers de la médaille, c’est qu’il a perdu la personnalité forte et presque vindicative qui l’animait originellement.
Ghost a passé en revue des titres forts pour leur redonner un coup de jeune, sans doute, mais également pour porter un message, peut-être sous couvert « d’anonymat » et portant la parole d’autres avant eux. On aurait aimé que Phantomine nous propose un titre complètement réinterprété, à l’image d’Issues qui a repris Boyfriend (oui, le titre de Bieber) ou encore d’Apocalyptica qui s’est fait connaître par ses réinterprétations de Metallica. Finalement, on a le sentiment que Phantomine sert d’exutoire autant que de transition vers un prochain album, le tout en limitant l'implication artistique. Croisons les doigts pour que Phantomine ne soit que le prémice d'une nouvelle proposition prochaine !
Annaëlle Moss
TRACKLIST
- See No Evil (Television)
- Jesus He Knows Me (Genesis)
- Hanging Around (The Stranglers)
- Phantom Of The Opera (Iron Maiden)
- We Don't Need Another Hero (Tina Turner)
LINEUP
Tobias Forge (Chant, composition)
Nameless Ghouls