Greif pour Griffon. Ainsi s’intitule le nouvel opus des suisses Zeal & Ardor, le groupe qui a transcendé les genres avec son premier album Devil is Fine, mêlant Negro Spirtuals -la musique sacrée chantée par les esclaves noires en Amérique- et Black Metal. Croyez-nous ! Greif est une pépite organique qui vous prendra par les tripes avant de vous faire basculer dans des nouvelles dimensions cosmiques. [Rencontre avec Manuel Gagneux (chant / guitare) et Tiziano Volante (guitare), par Anna Grésillon et François Capdeville]
Il parait que le bluesman Robert Johnson doit son blues à Satan. Est-ce que Manuel Gagneux (le chanteur) doit son Black Metal à Satan ?
Et bien… oui ! Satan constitue une grande partie de notre univers.
Blague à part, que représente le satanisme dans votre travail créatif ?
Le satanisme, de manière simplifiée, c’est le fait d’adopter un mode de vie basé sur l’individualisme. Et c’est ce que nous aspirons à faire au travers de notre musique. Nous créons selon nos envies sans écouter les jugements des autres.
Vous avez un emploi du temps chargé jusqu’à la fin de l’année. Comment vous sentez-vous et comment faites-vous pour rester si énergiques ?
La meilleure réponse serait évidemment de bien manger, s’hydrater et dormir suffisamment. Mais en vérité, cela ne se passe pas toujours de cette façon ! Dans notre métier, il y a beaucoup d’imprévus et il faut trouver un équilibre pour parvenir à garder le rythme. Et bien sûr avec assez de caféine pour y parvenir !
Dans un contexte européen marqué par une montée des partis politiques extrêmes, pensez-vous que votre musique qui rend hommage au Negro Spiritual chanté par les esclaves noirs revêt une dimension plus forte et militante ?
Oui en effet. Dans un sens, ce contexte nous rend encore plus légitime d’exister. Mais bien évidemment, le meilleur scénario pour notre société serait qu’il n’y ait pas de raison politiques qui inciterait à prendre la parole pour dénoncer les injustices. Malheureusement, dans un monde qui vire à nouveau vers le fascisme, nous voulons mettre en musique une forme de résistance.
Manuel, en nous intéressant à votre groupe nous avons découvert que Zeal and Ardor était né suite à un challenge sur internet, dans lequel on vous aurait demandé de mêler Black Metal et Negro Spiritual. Est-ce le cas ? Où de part ta double culture, tu avais peut-être déjà l’idée en tête...?
Peut-être était-elle inconsciente… En tout cas, j’ai trouvé la piste très intéressante à explorer. J’ai ensuite partagé avec ceux qui deviendront plus tard les autres membres du groupe.
A l’avenir, envisagez-vous de vous inspirer d’autres styles musicaux ou préférez-vous rester fidèle à votre ADN musical ?
Non pas vraiment, nous souhaitons continuer à mélanger Metal et Negro Spiritual. Nous aimons l’idée de créer avec ces genres musicaux qu’en apparence tout oppose. Mais, si on y réfléchit bien, il n’y aurait pas de Metal, s’il n’y avait pas eu de Negro Spiritual, de Gospel et de Blues.
Le choix de mêler Black Metal (dont certains acteurs flirtent avec le suprémacisme blanc et le nazisme) avec de la musique afro-américaine, qui est par essence militante, est un choix aussi surprenant qu’inspirant. Y avez-vous vu une contradiction ?
C’est justement ce qui est le plus intéressant. Musicalement, cela se mélange bien puisque tu y retrouves dans les deux la lenteur, la mélancolie, et tout une partie très lourde émotionnellement. Mêler les deux, cela permet à chacun de ces genres de gagner en intensité. Et si on peut énerver la communauté National Socialist Black Metal, c’est encore mieux.
Votre dernier album est plus introspectif, mélancolique... Qu’est-ce qui vous a poussé à faire un tel choix ?
Je pense que c’est ce que je ressentais au moment où j’ai composé. Nos autres albums étaient peut-être davantage tournés vers la révolte. Néanmions, il y a des titres qui poussent des cris de rage. Je pense à Hide in Shade par exemple.
Y a-t-il un titre que vous préférez au sein de votre nouvel album ?
Nous avons une préférence pour Kilonova, car c’est celle qui demande le plus de concentration, c’est la plus difficile. Mais nous aimons également Solace, qui est un morceau plutôt amusant dans le bon sens du terme. Nous y avons mêlé un côté fun, toujours en gardant cette touche personnelle qui fait que c’est du Zeal and Ardor.
Vous avez joué cet été au festival Rock in Bourlon. Quel est votre meilleur souvenir français ?
Nous avons eu l’occasion de profiter une fois d’un jour de repos à Paris où nous avions mangé de la nourriture incroyablement délicieuse ! Nous avons aussi de bons souvenirs de notre passage au Hellfest. Il y a eu également cette fois où, lors de la dernière date de notre tournée, nous avons joué avec les Meshuggah.
Zeal & Ardor était à l’origine un projet personnel. Il est désormais une famille. Comment voyez-vous évoluer cette entité dans le temps ?
Je suis curieux de voir où tout cela va nous mener. Depuis le COVID, chaque concert nous semble être un privilège. Nous avons la chance de pouvoir être en bonne santé, et nous pouvons nous amuser … alors pourquoi s’en priver ?
J’ai le souvenir de votre concert au Hellfest en 2022, dont le pit ne pouvait contenir toute la foule venue vous voir. Comment voyez-vous ce succès si rapide ?
Chaque succès est toujours une surprise. C’est bien également de se rappeler que rien n'est permanent et qu’il faut profiter des choses tant qu’elles sont là. Nous avons la chance de faire un travail qui nous passionne et nous porte. Nous essayons juste d’apporter un peu de lumière à notre façon dans ce monde, et de la partager avec le plus de personnes possibles.
De quoi êtes-vous le plus fier concernant votre carrière ?
Notre première tournée, car je pense que beaucoup de choses déterminantes se sont jouées à ce moment-là. Nous avions beaucoup d’attentes et avons travaillé le plus possible pour proposer au public une expérience musicale très personnelle et de qualité.