Nous sommes témoins depuis toujours de l'avènement ou malheureusement parfois du déclin d'évènements musicaux. Il est particulièrement compliqué de se confronter aux grands, tels que le Hellfest ou le Motocultor, et pourtant, de beaux projets réussissent à se frayer un chemin sur le devant des projecteurs. C'est le cas du festival 666, porté alors par un fondateur âgé de 15 ans qui a décidé de faire vibrer la population de son village, Cercoux, au rythme des basses.
Interview de Victor Pépin par Annaëlle Moss.
- Le festival 666 existe depuis 2018. Est-ce que tu peux nous présenter la genèse de ce projet ?
J’ai créé l’association en septembre 2017, j’avais 15 ans à l’époque et, après avoir participé à plusieurs éditions, je me demandais comment faisaient les organisateurs du Hellfest pour créer un tel évènement à Clisson. Et du coup, je me suis demandé ce que ça donnerait, à moindre échelle, dans mon village à Cercoux. Je suis allé toquer à la porte de Madame la maire, qui a tout de suite adhéré à l’idée, et qui m’a autorisé à mener ce projet dès l’été suivant, à savoir août 2018. C’est comme ça que j’ai pu monter la première édition avec Tagada Jones, Laura Cox, Headcharger. Comme cette première édition a bien fonctionné, on a pu continuer jusqu’à aujourd’hui.
- Est-ce que tu as connu des contraintes à monter ton projet parce qu’inscrit dans un univers Metal qui peut parfois avoir mauvaise presse auprès des non-initiés ?
C’est une crainte que j’avais, mais lorsque je suis allé voir la maire, elle était dans son premier mandat et était pleine d’une volonté de faire bouger les choses dans Cercoux, qui reste un milieu très rural. Toute manifestation est bonne à prendre pour faire bouger le village du coin ! Dans ce cadre, elle a tout de suite adhéré à l’idée, elle nous a beaucoup soutenus, mis à disposition des infrastructures, prêté des terrains etc… Le seul obstacle que j’identifiais clairement était la réticence des riverains. Nous sommes donc allés les voir deux semaines avant le festival pour les prévenir, et finalement, ils se sont rendu compte que les metalleux sont des gens très gentils, et aujourd’hui tous les habitants de Cercoux aiment le festival 666.
- J’imagine que les retombées économiques sont intéressantes pour Cercoux ?
La présence du festival double, voire triple la population du village le temps d’un weekend. Pour les commerces, c’est génial, ils fonctionnent très bien pendant 3-4 jours.
- Tu parlais plus tôt de la façon dont t’es venue l’idée d’un festival, est-ce que tu avais prévu à ce moment là d’évoluer professionnellement dans le milieu de la musique, de faire des études en lien avec ce secteur ?
Quand j’ai commencé à organiser le 666 j’étais au lycée, en seconde, et effectivement, après la terminale je me suis demandé ce que j’aillais pouvoir faire comme étude. Je m’étais intéressé aux écoles de commerce et de management, mais finalement, je me suis dit que j’allais peut-être risquer d’apprendre quelque chose que je faisais depuis 3 ans déjà. Du coup, je me suis dit qu’il était plus intéressant d’approfondir des domaines plus spécifiques tels que la gestion des contrats, qui sont tout aussi importants pour gérer un festival, résultat je suis en fac de droit en licence 2.
- Tu nous évoquais des noms tels que Tagada Jones pour la première édition du 666. Comment est-ce qu’on arrive à décrocher de telles têtes d’affiche sur un lancement, d’autant plus lorsqu’on a 15-16ans ?
J’y suis allé au culot. En fait, je suis allé à la rencontre de Tagada Jones après un de leur concert à Angoulème en septembre 2017. Je n’y connaissais rien, je n’avais aucun réseau, du coup je suis allé voir Nico (deTagada Jones) au merch en lui expliquant que je comptais monter un festival dans 11 mois et que j’aimerais les avoir comme première tête d’affiche. Nico a un petit côté social, il est prêt à aider et du coup il a accepté. De là, j’ai pu avoir d’autres noms pour l’affiche. Mais effectivement, si j’avais pas eu Tagada pour la première édition, le festival ne serait peut-être pas ce qu’il est aujourd’hui.
- Du coup, comment se compose l’équipe du 666 aujourd’hui ? Des salariés ?
On est tous bénévoles au sein d’une association loi 1901. D’ailleurs, plus de la moitié de nos salariés ont moins de 25 ans. On est une quinzaine à s’en occuper toute l’année et un peu plus d’une centaine de bénévoles par jour pendant le festival. C’est un atout, certes, mais c’est parfois un défaut, par exemple, en 2021, la troisième édition aura eu un franc succès mais elle aura eu raison de ma licence 1 de droit que j’ai dû redoubler. Ce n’est pas notre métier et ça prend inévitablement du temps sur nos études. C’est pour ça que le format du festival a été allégé en 2022 sous format d’une« soirée off », avec Sick Of It All et Loudblast notamment, au Crossroad à Angoulins.
- Est-ce que tu as l’ambition de professionnaliser le festival à l’avenir ?
J’aimerais vivre de ce festival un jour ou du moins du secteur de l’évènementiel, et le 666 est un bon tremplin à cette perspective.
- Et ton ambition pour le 666 ? Tu vises plutôt à garder une âme un peu roots qu’on retrouve au Motocultor par bexemple, ou tu ambitionnes à faire du festival 666 un nom de l’ampleur du Hellfest ou du Wacken ?
Je pense qu’à l’heure actuelle il est impossible de faire aussi gros que le Hellfest en France. J’aimerais réussir à grossir tous les ans, tout en gardant ce qui fait notre force et notre atout, à savoir la proximité entre les festivaliers et les artistes. On propose une affiche qui peut attirer beaucoup de monde, mais on se cantonne à une capacité maximale de 2000 festivaliers. On aime l’idée d’une jauge restreinte pour garder ce festival à taille humaine. L’enjeu c’est d’avoir des artistes toujours plus prestigieux tout en gardant un certain contrôle sur la jauge pour garder cette proximité.
- Et toi personnellement, tu es plutôt client des gros festivals ou tu préfères les productions plus confidentielles ?
Je fais les deux. C’est plus confortable d’être dans un petit festival, il y a moins de monde etc… Mais de temps en temps, j’aime profiter des groupes que proposent les grands festivals et que tu ne peux pas voir ailleurs. C’est intéressant de faire un ou deux gros festivals par an pour se rendre compte de ce que c’est. Ca permet également d’apprendre comment fonctionne un gros event.
- C’est sûr que tu peux tirer des avantages des grands, mais peut-être également des points un peu moins positifs ?
Les files d’attentes trop longues, un nombre de bénévoles insuffisant au service etc… ce sont des choses qui peuvent frustrer le festivalier et sur lesquelles on travaille.
- C’est quoi le plus compliqué finalement dans l’organisation d’un festival ?
Premièrement, attirer du monde. La communication doit être efficace sans être trop abondante ni trop absente. Une fois qu’on est sur place, l’enjeu c’est de faire de l’environnement un endroit sain où le festivalier se sent bien. On cherche une ambiance un peu familiale et cosy. Il ne faudrait pas que le festivalier s’ennuie entre l’ouverture des portes et les concerts également. C’est savoir proposer autre chose que des concerts, une vraie expérience.
- La communication sur l’édition 2023 laisse entendre que des nouveautés sont dans les tuyaux. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?
Moi-même quand je vais en festival, je m’attends à ce que l’année suivante des choses se soient améliorées. Il faut que le festivalier se rende compte qu’on essaye de progresser chaque année. Donc on travaille sur des animations, des nouvelles infrastructures, encore une fois, il ne faut pas que le festivalier s’ennuie. Par exemple, cette année, on a décidé d’offrir un pass VIP aux festivaliers de la première heure du festival 666.
- Je dérive un peu des sujets purement organisationnels, mais j’aurais aimé connaître ton point de vue sur la difficulté que peuvent avoir les festivals aujourd’hui à programmer des groupes, notamment face à la critique. Par exemple, il y a eu le sujet Birds In Row au Hellfest, ou a contrario le maintien de Down malgré la controverse.
Le rôle qu’a le Hellfest aujourd’hui n’est vraiment pas simple car il faut jouer entre une programmation alléchante et la plus complète possible tout en respectant les nouvelles demandes des festivaliers. Aujourd’hui, le festivalier n’accepte plus d’avoir un groupe problématique sur scène. Les organisations doivent s’adapter à cela, et c’est tant mieux, puisqu’avant il faut reconnaître que c’était moins le cas. Personnellement, je fais maintenant attention à cela, mais avant, je n’étais même pas au courant de ces enjeux tout simplement.
- En tant que media et fans de cette culture metal, on est très contents de voir de beaux projets comme le tiens émerger et ça nous laisse entrevoir que l’avenir est assuré pour notre chère scène extrême. Est-ce que de ton côté tu partages cette lecture et tu penses également que la scène metal a de belles années devant elle ?
Oui, mais je suis curieux de voir ce que ça va donner quand les grands groupes des années 70-80 vont passer la main. Aujourd’hui encore,les grands festivals reposent beaucoup sur ces groupes-là et je suis curieux de voir si les festivals vont encore attirer autant de monde avec des têtes d’affiche des années 90-2000. De mon côté, je fais le pari de la jeunesse, comme on le voit avec l’affiche de cette année avec Landmvrks, Crisix, on avait Novelists qui ont dû annuler. Il y a un renouvellement de la scène, et ce ne sera peut-être pas les mêmes festivaliers, mais ça va perdurer selon moi. En revanche pour les plus gros festivals qui dépendent vraiment des 40-60 ans qui écoutent des groupes des années 80, j’ai du mal à voir comment ça va se passer.
- Le mot de la fin ?
On est une jeune équipe d’organisateurs puisque plus de la moitié de nos bénévoles ont moins de 25 ans. On se donne à fond pour organiser une belle fête le 11-12-13 août prochain, en plus on a la chance d’avoir le 15 août pour faire le pont et on est à 20 minutes de Saint-Emilion on pourra tous aller faire les vignes après le festival !