23/5/2023

Au cœur des ténèbres - Lamb Of God à L'Olympia de Paris

AU COEUR DES TÉNÈBRES - LAMB OF GOD À L'OLYMPIA DE PARIS

Paris, 27 février 2023. Je viens de m’enfiler une EVM (Escalope de Veau Montagnarde) au restaurant Gladines en compagnie d’un de mes meilleurs potes ; avoir mangé mon poids en viande et fromage devrait m’aider à tenir le coup pour le concert du siècle.

Sur la façade de l’Olympia, en lettres d’un rouge aveuglant, le nom qui m’amène : LAMB OF GOD. Douze ans que je veux les voir en concert, après avoir découvert leur inoubliable album Sacrament (sorti en 2006, ça ne nous rajeunit pas). Chaque fois, quelque chose m’en a empêché. Cette fois-ci, c'est la bonne, et je suis prête à me prendre la raclée du siècle.

J’ai un petit faible pour ce groupe. Déjà, parce qu’il est passé par une phase de rédemption, un thème cher à mon cœur. On n’oubliera pas le procès de Randy Blythe pour homicide involontaire, fabuleusement documenté dans As Palaces Burn de Don Argott. Le chanteur sera finalement acquitté, mais également prêt pour une autre vie. Génie vocal et musical, Randy a surmonté l’enfer des addictions pour revenir plus solide encore, et c’est ce Randy que j’ai le plaisir de voir chanter ce soir.

J’entre dans la salle sur la fin du concert de KREATOR – les ayant déjà vus en 2018 lors du European Apocalypse Tour, je me suis permise de les manquer – et déjà la queue pour les toilettes fait deux fois le tour de la rotonde. Je me rends dans la salle et reçois une pluie de confettis rouges. Alors que tout le monde fonce au bar pour prendre une bière, je me faufile jusqu’au troisième rang, à droite, et j’attends.

Je ne sais pas pour vous, mais les interludes peuvent paraître longs, surtout quand on n’est pas venus avec des potes, qu’il n’y a pas de réseau pour joindre ceux qui peuvent être là, et qu’on n’a pas envie de boire la pinte qui nous fera rejoindre la file des clients pour les WC. Alors, j’attends. Pour passer le temps, je lis le programme du Hellfest 2022 sur le dos du t-shirt du mec devant moi. Je vois le nom de GOJIRA y figurer en bonne place. Je les ai vus à Bercy deux jours avant ; c’était éblouissant, et je laisse ma collègue Aniselys vous parler de son expérience à Lyon ici.

On enlève les décors de KREATOR (mannequins transpercés d’une lance, ça place bien l’ambiance), et une illustration dans le style du cover art de l’album s’élève bientôt en fond de la scène : deux squelettes d’aigles enflammés, encadrant un triangle où l’on peut reconnaître un signe ésotérique rappelant celui du Leviathan. Une fois encore, le designer graphique K3n Adams, à qui on doit la pochette de Ashes of the Wake [2004], frappe fort. Même le célèbre acteur Ethan Hawke (le père de Maya Hawke qui joue Robin dans Stranger Things) lui exprime son admiration dans une interview donnée en 2022. Le talent de nos artistes transcende toutes sortes de frontières.

La salle est de plus en plus comble ; je jette un dernier coup d’œil aux vétérans du metal, assis tranquillement au balcon. Pas besoin pour eux de se prouver dans la fosse, ils sont là pour savourer le spectacle et la musique. Et ils vont être servis. La lumière tombe, les musiciens s’installent sous des hurlements d’impatience. Randy, sa crinière de dreadlocks tombant jusqu’à la taille, arrive, et nous lance sur Memento Mori.

Tout de suite, la salle s’enflamme. Pour les non-habitués de l’Olympia, vous apprendrez que le sol de la fosse peut se montrer très rebondissant, surtout quand une horde de métalleux déchainés sautent à pieds joints de toute la force de leurs jambes. Ça bouscule, ça glapit, ça reprend en chœur le refrain « WAKE UP ! WAKE UP ! WAKE UP ! ». En moins de 5 minutes, la température a grimpé de dix degrés.

Le groupe enchaîne avec Ruin, issu de l’album As the Palaces Burn [2003], et une fois encore, je sais pourquoi je suis là. Je suis impressionnée par la technique vocale de Randy. Pour lui, balancer des screams monumentaux semble aussi facile que de parler de la météo. Il y a un charme indéniable chez cet américain d’1m85 qui nous gueule dessus, vêtu simplement d’un t-shirt et d’un short, comme s’il avait quitté son skatepark local juste le temps de passer sur scène.

Je contiens un hurlement de joie quand j’entends les premiers accords de Walk with me in hell résonner puis s’abattre sur nous, comme la vague d’un tsunami sur une plage. Enfin une chanson que je connais VRAIMENT BIEN, pour l’avoir saignée pendant toute mon adolescence. Je gueule. Ça tabasse. Je vous ai dit que ça tabassait ? Personne n’est à l’abri. Les pogos viennent vous chercher. Les victimes innocentes tentent de s’éloigner, déjà plusieurs personnes fuient le cercle infernal qui s’est formé au centre de la salle, et attire tout le monde à lui comme un maelstrom. Pas de doute, nous marchons bien en enfer.

Ressurection Man, puis Ditch ; je vois flou, la violence ne semble jamais s’arrêter; elle a sur moi un effet cathartique. Rien de tel que de gueuler un « I DON’T GIVE A GODDAMN ABOUT YOUR DEMANDS » pour libérer les frustrations de la vie quotidienne, du taff, des gens chiants.  Et je ne parle même pas du moment où ils balancent Now you’ve got something to die for. Ce growl de fin ? En live ? Mamma mia.

J’ai perdu toute notion d’identité ou d’espace. Je ne sais plus qui je suis, où je suis, qui je vais. La fosse n’est plus qu’un seul et même organisme obstiné, qui cherche à s’étendre et à contaminer les autres, façon cordyceps dans The Last of Us. Quelques derniers vaillants luttent pour rester immobiles, mais le combat est en leur défaveur. En 15 ans de concerts, je n’ai jamais vu ça.


Le show est au rendez-vous. Les lumières dansent, l’ambiance tourne au giallo quand les projecteurs nous inondent de rouge et ensanglantent la fosse. Sur
Omerta, l’atmosphère prend des airs de secte; la foule répète en chœur le credo : “If I live I will kill you, if I die you are forgiven, such is the rule of honor”. S’ensuivent des classiques récents ou moins récents, comme Omens, morceau éponyme du dernier album, ou 11th Hour, pépite de As Palaces Burn, qui provoquent de beaux mouvements de foule. Après plus de deux heures de concert, les gens ne semblent toujours pas fatigués, et ont toujours plus à donner au groupe, même quand on atteint la fin du concert avec un délicieux Laid to Rest, et surtout Redneck, qui permet d’ultimes violences autorisées dans le cadre d’un pogo. « THIS IS A MOTHERFUCKING INVITATION ! ».

               La dernière note s’éteint sous un tonnerre d’applaudissements et de bravos. Comme de nombreux autres amateurs de musique métallique, je cherche au sol un souvenir que je pourrais rapporter du concert, mais je ne trouve que des morceaux de gobelets en plastique éclatés, au milieu d’un océan de confettis piétinés. Ça ne m’étonnerait pas de retrouver une vertèbre ou deux dans le tas. J’espère que le mec que j’avais croisé au concert d'Amon Amarth en 2013 a récupéré la sienne (on l'avait cherchée ensemble).

               Je sors et je m’assoie sur les marches pour digérer un peu. Digérer, c’est bien le mot ; entre mon escalope d’il y a deux heures et le concert, je dois faire le point. Un sentiment de félicité m’envahit : j’ai enfin vu Lamb of God. C’était exactement ce à quoi je m’attendais, c’est-à-dire génial. A peine sortie de la salle mythique, j’enfile mes écouteurs et je réécoute les morceaux qui m’ont le plus remuée (Ruin et Redneck). Je m’en tire assez bien, sans bleus ni égratignures, ce qui ne doit pas être le cas de tout le monde, compte tenu de tous les slammers et crowdsurfers qui nous sont passés sur la tête. Après avoir enchaîné Gojira et Lamb of God en deux jours, je sens que la déprime post-concert va être forte, et mon corps en manque de secousses. Pour survivre sans ma dose, je pourrais toujours blaster leurs albums dans mes oreilles, et partager leur immense talent avec des oreilles moins entraînées, qui me rejoindront bientôt dans un tourbillon de sons et de couleurs.

Blandus

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