29/5/2024

Bruce l’enchanteur - Live à l’Olympia

Paris, 26 mai 2024. Je remonte la rue de Caumartin vers la salle mythique de l’Olympia. Sur le chemin, je passe devant des Hardos vêtus de t-shirts Iron Maiden et AC/DC, attablés à un café. Impossible de les manquer, ni d’ignorer qui ils sont venus voir ce soir. Les lettres rouge vif, si reconnaissables, exposent sur la façade un nom non moins mythique : BRUCE DICKINSON. Connu principalement pour être le chanteur de Iron Maiden, Bruce n’en est pas à sa première tournée solo. Son premier projet individuel, Tattooed Millionaire, date déjà de 1990. 34 ans plus tard, c’est The Mandrake Project qu’il vient présenter à son public.

Dehors, quelques fans cherchent à mettre la main sur d’ultimes billets. Je rentre et me faufile jusqu’au premier balcon, où je suis accueillie par une intro de batterie particulièrement savoureuse : ce sont les réjouissants Black Smoke Trigger qui commencent leur set avec The Way I’m Wired. Ne connaissant pas le groupe, j’y prête une oreille attentive et curieuse ; le public à l’étage accueille d’abord le groupe avec un enthousiasme mesuré. Le show est pourtant à la hauteur des attentes, avec ses jeux de lumières très vives qui captent le regard. La voix du chanteur, Baldrick, tonne de toute sa puissance, et les juteux solos de guitare de Charlie Wallace réveillent en nous la fibre du hard-rock.

Cependant, c’est la batterie de Josh Te Maro qui enflamme la salle sur Proof of Life, chanson issue de leur futur album, tout comme K.M.T.L. qui met tout le monde d’accord. Cette fois-ci, le public est lancé ; il reprend même les paroles en chœur et finit sur un tonnerre d’applaudissements. S’ensuit un Phantom Pain mélancolique, et un Caught in the Undertow baigné d’une lumière rose qui maintient la bonne ambiance de la salle.

A la fin du set, le groupe semble avoir conquis son public ; j’entends à ma droite des nouvelles groupies hurler et applaudir. Black Smoke Trigger fait ici une entrée respectable et offre un show très énergique en live, qui donne envie de taper du pied ; une petite pépite dont il faudra suivre l’évolution.

La salle se vide pendant l’entracte, et je réalise qu’autour de moi, il n’y a pas que des métalleux, mais des gens de tous âges et de tous styles vestimentaires. Je me réjouis de cette diversité, tandis que résonnent du Ghost, du Airbourne et du AC/DC dans les enceintes. Un écran géant prend place en fond de scène, et nous voyons passer dans les gradins la femme de Bruce Dickinson, Leana Dolci, qui salue des connaissances. Les fans s’enthousiasment et la prennent en photo, et certains viennent lui parler et lui présenter des cadeaux. Enfin sonne 20h50, et le début du show que tout le monde attendait.

La scène se baigne de lumière verte, et on entend un extrait du générique de la série télévisée Les Envahisseurs (1967), première d’une longue suite de références que Bruce Dickinson se fera le plaisir de faire découvrir à son public. On y parle d’aliens quittant leur planète mourante pour envahir la Terre… Si les notes qui s’ensuivent pourraient faire penser aux planants Pink Floyd, la musique change rapidement avec Accident of Birth, premier morceau du set. Bruce arrive sur scène. “Are you fucking prêt Paris ?”. Un rugissement approbateur lui répond, et la salle s’emplit de sa voix si caractéristique. L’acoustique est parfaite, tout résonne justement, et on nous régale déjà d’un duo de synthé et de guitare au bout de quelques minutes. “Welcome home !” scande le public, comme une adresse au groupe, pour qui c’est le premier show à l’Olympia.

Bruce ne fait aucune concession : ce soir, c’est du Bruce uniquement, et des morceaux tirés de tous ses albums, même les plus anciens. Le dernier en date, Tyranny of Souls, a déjà 19 ans, et le groupe le fait revivre avec Abduction, revenant sur le thème des aliens, le heavy metal en plus. Le son est lourd, intense, les têtes se balancent d’avant en arrière, tandis qu’une vidéo d’ovnis est diffusée en fond de scène. Sur Laughing in the Hiding Bush, qui rappelle les meilleurs moments de Maiden sans jamais sacrifier à l’authenticité de son auteur, la guitare résonne avec la pureté de l’eau d’une source dans une salle qui reprend le refrain par cœur.

C’est avec Afterglow of Ragnarok que The Mandrake Project est introduit au public, avec ses tonalités très martiales, presque black metal par moments. Sur un fond de cités en flammes (Paris, New York), Bruce fait résonner sa voix de prophète : “Ce n’est pas la fin du monde… C’est le commencement d’un nouveau monde”. La salle frissonne, et le morceau remporte un franc succès.

Le public en délire tape du pied et des mains, certains se lèvent. Sur scène, le chanteur a l’air touché. “Paris, c’est ma maison” dit-il en français. C’est sous cette douche d’amour qu’il enchaîne avec la power ballad Chemical Wedding, puis par Many Doors to Hell, où des images de l’Enfer de Dante et de Nosferatu le vampire (1922), projetées sous une lumière sanglante, racontent en images l’histoire d’une vampire pleine de regrets : “When the sun goes down / I wear my thorny crown / I know them, oh so well / The many opening doors to hell”.

Bruce Dickinson est un amateur de poésie anglaise. Déjà dans l’album Powerslave transforme-t-il, avec Iron Maiden, The Rimes of the Ancient Mariner de Coleridge en chanson divinement métallique. Ici, c’est avec les vers de William Blake que le chanteur se transforme en aède moderne sur Jerusalem, et métamorphose cet hymne au sacré et à l’Angleterre (“Perfide Albion !” s’exclame un homme dans le public) en une balade chargée d’émotions. Il revient ensuite à l’un des thèmes fondamentaux de son dernier album, le monde des morts, avec Resurrection Men et Rain on the Graves (là encore, une chanson inspirée du poète anglais Woodsworth). Sur les deux morceaux, le public peut admirer les qualités scéniques et musicales du chanteur, qui alterne percussions, chant et rires démoniaques. Il sait aussi faire chanter un thérémine lors d’un interlude très psychédélique (une cover de Frankenstein de The Edgar Winter Group), en compagnie des autres musiciens : la salle est sous hypnose, Bruce Dickinson a l’air d’un magicien fou, les lumières dansent, des formes multicolores se succèdent au mur.

Un peu hébété, le public retourne sur terre doucement, grâce au planant The Alchemist. Puis ce sont de grands favoris qui marquent la fin du set : Tears of the Dragon, qui recueille les cris d’enthousiasme du public dès les premiers accords des guitares acoustiques et électriques en parfait duo, et Darkside of Aquarius, qui fait sauter la fosse dans un même mouvement. L’ambiance est magique, et Bruce l’enchanteur transporte ses spectateurs jusqu’au dernier instant.

Aucun concert n’est vraiment fini tant que l’encore n’a pas résonné. Après quelques minutes d’applaudissements nourris et de vivas, les membres reviennent sur scène, et jouent Navigate the Seas of the Sun, une touchante ballade parlant d’amour éternel. Des galaxies sont projetées à l’écran, les voix s’unissent et donnent des frissons ; c’est définitivement mon moment préféré du concert.

Jusqu’à la dernière seconde, le groupe ne nous laisse aucun répit : dans un ultime hommage à Blake, les notes de Book of Thel, sombre histoire de pacte avec le diable, font s’agiter la fosse comme jamais. L’énergie est intacte avec The Tower, qui marque la fin du spectacle. La salle entière se lève, c’est la standing ovation, le délire, les cris et les applaudissements qui font monter les clameurs à 108 db. Les membres nous saluent, et Bruce nous glisse un “A bientôt, c’est promis” qui nous réchauffe le cœur.

Est-ce que ce concert était parfait ? A mon sens, oui. Dès la première partie, Black Smoke Trigger a su nous mettre en appétit de sons hard-rock, avant de laisser place à Bruce Dickinson et à son équipe, qui se sont fait un plaisir d’enflammer la foule. L’acoustique était impeccable, et j’ai passé un des meilleurs moments de ma vie à me laisser porter par les sonorités de ces musiciens talentueux. Je suis heureuse d’avoir pu profiter de cette opportunité d’entendre une des plus grandes voix de notre temps en pleine action ; car oui, il faut voir Bruce Dickinson en live, pour savourer en personne sa puissance vocale. “A bientôt”, oui, j’espère même “à très vite”.

Texte: Blandus

Photo: Antoine de Montremy / Les Improductibles

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