Doctor Frank et Mister Black...
Pour trois jours l'Olympia va se transformer en refuge pour quadras et quinquagénaires puristes du rock indé. Les Pixies et leur leader Frank Black, précurseurs de ce style à la fin des années 80 et dont l'influence sera majeure durant les 90's, posent leurs valises pour quelques jours à Paris. Merci d'avoir choisi ce toujours magnifique écrin plutôt qu'une prestation au Zénith ou à Bercy. Ce sera, de plus, l'occasion de multiplier le plaisir.
Lors de l'annonce de cette tournée européenne quelques mois avant, il était précisé que le groupe jouera en intégralité "Bossa Nova" sorti en 1990 et "Trompe le monde" publié un an plus tard. Ces deux albums ne sont pas les préférés des fans de la première heure. Le premier peut être considéré comme un peu lent par son aspect "Surf rock". Le deuxième est un peu déroutant pour les standards de l'époque. Il sera souvent estimé comme du "rock expérimental" et catalogué fourre-tout. Mais il finira par trouver la reconnaissance grâce à l'interprétation de ses titres lors des concerts du groupe. De toute façon quand on aime les Pixies et qu'on les connait en live, on y va et puis c'est tout.
Par déontologie, petit point subjectivité. J'ai découvert le groupe avec l'album "Bossanova". Et quelle putain de découverte !!! A cette époque, j'avais douze ou treize ans, je n'étais probablement pas encore prêt pour la furie et le côté abrasif des deux premiers (ou trois, c'est selon...) disques des Pixies. Ce fut une claque majeure. Un album écouté en boucle, découvrant ainsi un groupe qui deviendra essentiel dans la bande son de mon adolescence et pour ma culture musicale. Je suis donc aux anges, pas forcément objectif, et impatient d'entendre des morceaux moins souvent joués en live et un album que je connais note par note.
Une grosse surprise survient une quinzaine de jours avant le concert. Frank Black, le plus que leader du groupe, est réputé pour être assez dur et caractériel vis-à-vis des membres de son collectif. Principalement avec celle qui occupe le rôle de bassiste, le poste étant genré féminin. Le départ de, Paz Lenchantin, est annoncé par un communiqué laconique. Agrémenté d'un "La La Love You" on lui souhaite le meilleur pour la suite de sa carrière et annonce que cette dernière souhaite se consacrer à ses projets personnels. Une explication qui n'a probablement convaincu que les experts en communication du Kremlin.
Après dix ans de stabilité, il semblerait que Mister Black soit en train de remettre un coup de pied dans la fourmilière. Et on a du mal à comprendre pourquoi. Pourtant, Doctor Frank, lui, nous régale toujours sur scène... Paz avait bien remplacé Kim Deal (après plusieurs atermoiements). Elle était appréciée des fans et une figure souriante dans un groupe qui, malgré ses qualités, manque de cet attribut. Commençait-elle à prendre trop de place aux yeux de Doctor Frank et/ou de Mister Black ? Le timing interroge mais n'oublions pas que Mister Black, au moment de la première dissolution du groupe, avait annoncé la nouvelle à ses camarades par un fax. On peut être un excellent musicien mais manquer d'élégance, il n'est pas le premier et ne sera pas le dernier dans ce milieu.
Donc exit Paz, qui confirmera quelques jours plus tard que cette décision n'était pas la sienne et qu'elle l'avait pas trop vu venir, et bienvenue à Emma Richardson qui hérite de ce poste maudit. Elle officiait auparavant avec Band of Skulls, un bon groupe de blues rock britannique, vu plusieurs fois en live et qui m'a toujours fait bonne impression. Laissons sa chance au produit...
Avant les concerts, durant les trois jours autour de l'Olympia, l'excitation est à son comble. Enfin, par rapport à la classe d'âge susmentionné... Dans les bars alentours on se remémore leurs précédentes prestations, les Zéniths de 1991 pour les vétérans, ceux de l'anniversaire de "Doolittle" en 2009 pour leur vrai retour, ou leurs dernières prestations dans cette même salle. Chacun, ou presque, a une anecdote à partager, un souvenir associé au groupe, un t-shirt plus ou moins ancien, ou l'envie qu'ils jouent tel ou tel morceau (pour le rappel, le reste de la setlist étant préétablie).
A l'heure prévue, le groupe fait son entrée. Le décor est sobre et classieux. Au fond de la scène, quatre globes sont suspendus à des piques. Pour cette première partie ils arborent une planète terre avec une dominante de couleur rouge faisant référence à la pochette de Bossanova. Au-dessus, trône un "P" majuscule ailé, une iconographie bien connue des fans. En dessous, David Lovering et sa batterie sont sur un piédestal par rapport aux autres membres du groupe. Et des amplis un peu partout...
"Cecilia Ann", reprise de "The Surftones" (le surf n'est pas un hasard), sert de calage. La puissance est déclenchée avec "Rock Music" mais surtout les premiers accords de "Velouria". Ca commence bien... La basse est un peu en retrait mais on ne peut pas dire que ce soit une surprise. A ce moment-là, je suis placé sur la mezzanine de l'Olympia. Une amie, plus qu'habituée de la salle, me questionne : "le son est bon, non ?"
Je confirme... Nous allons découvrir plus tard que cette impression a loin d'avoir été la même pour tous.
L'album se déroule. On hurle le prénom de cette pauvre "Allison" qui a dû nous entendre d'où qu'elle soit. L'enchainement "Is she weird", "Ana", et "All over the world" est une session surf rock plus calme. "Dig for fire", un excellent morceau en studio, semble dur à caler. Le groupe se réunit à chaque fois devant le batteur et certains départs ne seront pas très réussis. Dommage... un manque d'habitude entre eux ?
La furie revient, et les mélodieux hurlements de Doctor Frank avec, pour deux énormes "Down to the Well" et "The Happening". Ensuite moment, très attendu de ma part, avec "Blown away". Le seul morceau de l'album chanté intégralement par une voix féminine (Mister Black avait pris soin de limiter les vocalises de Kim). Pour la nouvelle occupante du poste, c'est un peu la première occasion de nous convaincre en live.
Ce ne sera pas simple. La pauvre Emma Richardson joue correctement depuis le départ mais n'arrive pas à se libérer. Elle est en retrait en permanence. Elle cherche sa place, sans fausses notes, dans ce collectif... Mais pour l'instant ça le fait pas trop, il manque un truc... Mais est-ce vraiment de sa faute ? Car elle n'est pas aidée... Ca commence par un son qui ne la met pas assez en valeur alors que la basse est essentielle chez les Pixies. Probablement une demande et un manque de confiance, légitime, de la part du maestro. Il faut dire qu'il la surveille comme le lait sur le feu sachant que leurs accords sont très souvent les mêmes. Arrive ce moment où elle doit chanter... Ils le feront en duo. Pas sûr que ce soit le meilleur moyen de la mettre en confiance mais heureusement Dr Frank et Mr Black sont des rock stars et ne sont pas responsables, en théorie, des ressources humaines.
"Hang Wire" est la dernière claque de cet album avant "Stormy Weather" et "Havalina", deux morceaux qui vont conclure "Bossanova" et qui font un peu retomber l'ambiance. Mais ils sont rares en concert et auront permis à certains de siffloter en s'imaginant en décapotable sur les côtes californiennes.
D'un coup l'éclairage qui était à dominante rouge va virer au bleu. Les sphères au fond de la scène nous observent désormais directement, arborant ces globes oculaires, un brin angoissants, qui agrémentent la pochette de l'album "Trompe le Monde". Terminé le "Surf rock", on passe à ce que certains ont appelé à l'époque du rock expérimental. Le rythme s'accélère...
Et ce dès "Trompe le monde" titre éponyme. On comprend direct que les transitions musicales seront moins "prévisibles". On est beaucoup plus dans la radicalité du live. "Planet of Sound" réclame des réglages, ce qui est rare chez eux, et est toujours un moment magistral en live. Dr Frank s'égosille et nous avec, c'est un régal. "Alec Eiffel", morceau rarement joué, est surprenant avec son influence à la Cure. Les variations du "Sad Punk" nous emmènent dans une fascinante bipolarité musicale, tour à tour excitées, tristes, re excitées... Du Jekyll and Hyde pur jus !!!
Puis les riffs faciles mais efficaces de U-Mass. Sur "Palace of the Brine" et "Letter to Memphis" les aficionados sont ravis de chanter et de se prendre pour Doctor Frank, la mélodie reprend petit à petit le dessus. S'ensuit un voyage sensoriel avec "Bird dream" qui nous fait planer dans les montagnes.
"Space" sera intéressant pour son riff entêtant mais, une nouvelle fois, frustrant par le manque de place laissé à la basse et à Emma au chant. "Subbacultcha" est un classique pixisien qui fonctionne toujours très bien. "Motorway to Roswell" est un retour aux sonorités "surf" de l'album précédent. Hormis "Lovely day" (aussi une rareté en live) et son côté "rockabilly", le reste sera convenu.
Place ensuite aux rappels. Chacun d'entre eux débutera avec "Vegas Suite". A priori un inédit envoyé comme une carte postale pour la suite. "Wave of mutilation (uk surf)" sera également joué à chaque date. On a compris que Doctor Frank veut mettre en valeur le "Surf rock" mais on soupçonne aussi Mister Black de manquer de confiance en sa bassiste en jouant un titre moins technique que les autres. Idem pour "Here comes your man", joué deux fois, qui ne met pas vraiment la basse en avant.
"Where is my mind", le grand classique du groupe, sera également repris deux fois par un public à l'unisson. J'ai beau y être habitué maintenant, pour avoir eu la chance de le vivre plusieurs fois en concert, c'est toujours un moment qui donne la chair de poule. Le meilleur rappel sera clairement celui du mardi soir. Le set va se conclure par un "Nimrod's son" dantesque rallongé en mode blues par le Doctor Frank que l'on aime. Un "Hey" qui, comme son nom l'indique, nous permet de beugler "Hey" très fort et de nous prendre pour des crooners. Et un toujours magique "Caribou" qui va nous faire chanter ultra faux mais on s'en fout on est couvert par Doctor Frank qui, lui, chante correctement. Ca fait un bien fou ce moment.
C'est l'heure de la sortie, des retrouvailles et du débrief autour d'une bière (chez Isa, of course...) avec les copains disséminés dans la salle. Durant les trois jours les avis ne changeront pas. Visiblement, le son dans la fosse n'était pas du tout de la même qualité que sur la mezzanine où j'ai passé les trois jours. J'ai des enquêteurs qui ont fait les deux, ils se reconnaîtront. En gros, une salle, deux ambiances et, du coup, de multiples avis qui divergent.
De nombreux échos évoquent que Mister Black avait réglé ses amplis à outrance, couvrant les autres instruments pour les spectateurs de la fosse. L'effet pouvait être atténué par les ingés sons placés, eux, en mezzanine. Cela a vraisemblablement gâché le plaisir de beaucoup d'amateurs qui n'ont fait qu'une ou des dates en bas.
Le bilan de ces trois jours n'est donc pas simple à établir. Quand on est habitué aux concerts des Pixies, il était frustrant de savoir quel morceau allait suivre. Cela m'a permis de constater une chose. "Bossanova" est un brillant album de studio dont les morceaux peuvent être un peu chiants en live. A l'inverse, "Trompe le monde" est un album dont les titres en version studio ne sont pas tous aboutis mais qui sont un gros kiff en live.
Et puis c'est une évidence qu'un concert des Pixies qui jouent peu de titres de "Surfer Rosa" et de "Doolittle" n'est pas habituel. Ce que l'on aime chez eux en live ce sont ces enchaînements rapides et imprévisibles. Les surprises (et surtout "Gouge Away") ont un peu manqué durant cette résidence olympienne. Après, perso, je me suis éclaté. J'adore ce groupe, j'adore ces deux albums, j'adore cette salle et j'adore les copains croisés et les avis échangés pendant ces trois jours (et les suivants).
Mais, surtout, j'adore quand Frank Black est Doctor Frank. Même si il y aura toujours un peu de fascination pour Mister Black... Et finalement, ne serait-ce pas plutôt Mister Frank et Doctor Black ???
Texte: L'humeur musicale
Photos: François Capdeville