20/11/2023

Kalandra + A.A. Williams + Lys Mørke

Le quartier parisien de Blanche ne dort jamais, surtout pas le soir d’un pluvieux lundi de novembre. Mes pas résonnent sur le bitume humide lorsque j’avance vers le fameux Irish pub O’Sullivan, qui révèle en son antre une petite salle de concert dérobée. L’ambiance conviviale me réchauffe et attise ma hâte de découvrir pour la première fois sur scène trois groupes illuminant l’univers actuel du post-rock, du gothique, de la dark-electro et du folk. Je suis loin d’être la seule, la salle est remplie d’un public enthousiaste et je me laisse guider par ce raz-de-marée humain. J’y reconnaît, non sans emballement, le visage de quelques proches, ce confirme de plus belle la qualité des têtes d’affiche de ce soir.


Le monde fulgurant et électronique de Lys Mørke

C’est pour la première fois que j’explore l’univers foudroyant de Lys Mørke, projet artistique de la musicienne barcelonaise Irene Talló. Sur scène, elle est accompagnée d’un autre musicien et le duo nous plonge dans une ambiance électrique et atmosphérique. Je suis happée par la composition à la fois puissante et spontanée des morceaux, révélant l’immense potentiel d’un projet à la croisée du post expérimental et de la dark-electro.

Des transitions brèves et franches nous font passer d’une atmosphère brumeuse à un monde fulgurant et électronique. C’est la subtile capacité à faire voyager la salle dans les cieux, puis à la projeter net au cœur d’un club techno underground berlinois qui souligne l’originalité en puissance de Lys Mørke. Afin de saisir le contraste sophistiqué entre les lignes de chant rayonnantes et une ambiance instrumentale lourde et ancrée sous la terre, il suffit de se pencher sur l’astucieuse signification du nom de ce projet : Lys désigne lumière et Mørke obscurité en langue norvégienne.

Cette performance artistique, musicale et quasi-expérimentale a conquis le public connaisseur de ce soir. Nous sommes purement captivés par ce spectacle musical, ponctué de projections qui coulent sur le devant de la scène et viennent éclairer les musiciens absorbés par leur art. Ce projet pourrait réjouir les auditeurs à la recherche de sonorités nouvelles ainsi que les fans du projet Doodseskader.


Le lyrisme nihiliste de A.A. Williams

Toute l’artillerie musicale du projet artistique de A.A. Williams se déploie ensuite sur scène. Provenant tout droit de l’imaginaire de l’artiste anglaise portant le même nom de scène, son universel sonore est de loin l’un des projets les plus créatifs et mystérieux de ces dernières années. Arborant une ambiance délibérément sombre et atmosphérique, A.A. Williams cristallise un vécu musical à la croisée du post-rock et du gothique mélancolique.

L’ingéniosité artistique de A.A. Williams a été acclamée de toute part de la part des acteurs de la scène post, en collaborant notamment avec Mono ou encore Johannes Persson de Cult of Luna. Ces collaborations démontrent notamment la place solide que A.A. Williams mérite au sein d’une scène musicale en proie à la créativité et à la métamorphose.  Connue de ses proches sous le nom d’Alex, le projet de A.A. illustre la virtuosité d’une artiste mêlant avec brio la composition post-rock avec la musique classique. La réussite de ses premiers albums témoigne l’engouement du public actuel pour le renouvèlement de la scène gothique et métal, redonnant un souffle nouveau à la musique dite « heavy ».

Je me laisse purement et simplement embarquer dans l’univers mélancolique de ce Death Gospel, comme l’artiste aime décrire sa propre musique. À l’écoute de « For Nothing » et de « Pristine », le lyrisme acoustique caractérisant le début de certains des morceaux agit comme une porte d’entrée vers le crescendo ambiant provoqué par la basse de Thomas Williams et les percussions de Wayne Proctor. Le recours à l’acoustique afin d’amplifier les textures gothiques n’est pas sans rappeler le fabuleux travail de Chelsea Wolfe.

Ce sont ensuite les morceaux « Evaporate » et « Love and Pain » qui me font prendre conscience de la sensibilité poignante gorgeant la musique de A.A.. La musicienne produit de la poésie nihiliste sur fond d’ambiance nostalgique et en ce sens me rappelle vigoureusement l’audace sentimental d’Emma Ruth Rundle. D’un point de vue purement personnel, je me retrouve dans les paroles de la compositrice, sa façon d’écrire résonnant avec la mienne. En effet, Alex admet utiliser l’écriture musicale comme une thérapie afin de gérer et d’exprimer ses émotions négatives de façon plus sereine. Alors, dans l’obscurité de la salle, je ressens comme une forme de soulagement à ne plus errer seule dans les limbes de mes propres peurs. Il est rare que je m’identifie autant à une façon d’écrire et je suis extrêmement reconnaissante à l’artiste A.A. de rendre à la sensibilité sa force d’origine.

Un autre aspect qui ressort de mon écoute live de A.A. Williams est la formation classique de l’artiste, que l’on arrive à identifier dans certaines de ses compositions, comme c’est le cas des chansons « Control » et « Belong ». C’est cependant volontiers que la compositrice répond à l’appel d’un heavy renouvelé et ponctué de riffs doom, tel qu’au sein du morceau « Golden ». La nostalgie symphonique de A.A. produit un son texturé et purement atmosphérique, renforcé par le keyboard de Matthew de Burgh Daly. La voix de A.A. résonne comme une lumière perçant l’obscurité et c’est sur ce ressenti final que « As the Moon Rests » vient conclure pour moi cette expérience cathartique.

Le folk mystique de Kalandra

Le public vibre à l’approche du groupe suédo-norvégien Kalandra, qui monte sur scène et empoigne la salle en un court instant. La foule se rapproche de la scène et je sens que nombreuses.eux sont celles.eux qui attendaient avec impatience ce moment. La formation nous amène progressivement dans leur puissant folk ambiant. Le chant envoutant et authentique de Katrine Ødegård Stenbekk illumine la voie au gré des percussions de Oskar Johnsen Rydh lorsque démarre « Helheim ».

Un univers atmosphérique et mystérieux se dresse alors devant nous, tandis que Kalandra semble nous raconter au travers de leurs instruments des contes obscures dont seuls les musiciens détiennent le sens. Cette mise en scène traditionnelle est notamment renforcée par l’utilisation d’un archet par les guitaristes Jogeir Daae Maeland et Florian Döderlein Winter. La palette musicale du groupe est multiple et des sonorités davantage lumineuses résonnent notamment avec « Slow Motion » ou encore « The Waiting Game ». On assiste à un folk en permanente métamorphose, évoluant au fils de touches plus électroniques et d’une voix stratosphérique avec « Naïve ». Les légendes sylvestres présentées par les musiciens sont polymorphes.

La mystique ambivalente de Kalandra est loin de s’arrêter en si bon chemin. Le crescendo sonore oscille entre des morceaux purement atmosphériques, tel que « Borders », et une formidable mise en perspective acoustique avec « Virkelighetens Etterklang ». Le groupe déchaîne son lyrisme nordique notamment avec une impressionnante cover de « Helvegen » par Wardruna. Enfin, lorsque les premières notes de « Brave New World » résonnent dans la salle, je comprends que c’est l’onirique voix de Katrine Ødegård Stenbekk qui colore le set de façon plus ou moins obscure. C’est la parfaite maitrise de ses cordes vocales qui, d’un instant à l’autre, peut faire basculer la salle dans le plus sombre des contes nordiques comme dans la plus merveilleuse des légendes norvégiennes. C’est typiquement ce contraste qui définit les trois projets auxquels j’ai eu la chance d’assister ce soir.



Live report par Garance AMELINE.

Photographies par François CAPDEVILLE

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