3/11/2024

Portrait d'une renaissance - Linkin Park & Sleep Token - Paris

Paris, 03 novembre 2024.

Le parvis de la Défense Arena fourmille de toutes parts, même la police est de la partie pour gérer les quelques 40 000 spectateurs qui foulent le pavé. Et pour cause, ce soir, nous fêtons la renaissance d'un pilier de la scène nu metal internationale, le retour d'une véritable référence pour des fans qui ne se cantonnent pas qu'au monde du metal, loin de là. Nous avons rendez-vous avec Linkin Park, sous sa nouvelle forme, mené de front par Emily Armstrong à qui il incombe la lourde tâche de succéder à feu Chester Bennington.

Avec des billets vendus en plusieurs salves, mais toujours en quelques minutes, le sentiment de vivre un grand moment est renforcé. Il se lit sur le visage de ceux qui font la queue jusqu'aux tréfonds de la Défense pour pénétrer dans l'enceinte de la géante et moderne Arena, une salle qui a déjà vu passer du beau monde metallique, comme Rammstein et verra prochainement Iron Maiden fouler son sol.

Sleep Token

A l'intérieur, la fosse est pleine à craquer et les gradins ne sont pas en reste. La régie semble noyée au milieu d'une marée humaine qui ne demande qu'à prendre la déferlante en pleine face. Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, c'est à Sleep Token que revient le privilège d'ouvrir cette belle soirée. Et quel choix judicieux ! La formation britannique est un véritable pont entre les genres, se parant tantôt d'apprêts metalliques, tantôt flirtant avec des sonorités électroniques à la sensualité assumée. Sleep Token est un hybride qui invite à la communion, des paroliers de génie surfant sur une instrumentalisation fascinante. Alors quel meilleur choix qu'un tel métamorphe pour ouvrir le bal à un groupe à la croisée des genres tel que Linkin Park ?

Malheureusement, on est tout de même restés sur notre faim concernant cette première partie. On a eu du mal à ressentir toute l'émotion dont on sait Vessel capable, tout comme on a manqué de vibration de la part de II, III et IV. Sans doute était-il compliqué pour un groupe à l'identité si marquée de partager la scène avec d'autres, complexifiant alors la mise en place de toute leur aura quasiment mystique, surtout sur un set de 40 minutes. Côté setlist, on aura tout de même été servis par les grands classiques du groupe, "The Summoning", "Alkaline", "Rain" et autres "Take Me Back To Eden". La fin du set a été si abrupte qu'on a même doutée qu'elle soit bien réelle jusqu'à ce que la musique d'ambiance ne résonne... Etrange donc, et un poil décevant pour les fans, mais on aura l'occasion de retrouver Vessel et sa bande en grande forme sur d'autres dates qui leurs sont dédiées.

Linkin Park

A ce stade, l'ambiance est finalement assez loin d'être survoltée dans La Défense, même si les derniers sièges vides des gradins se remplissent peu à peu. Et puis 21h arrivent. Les lumières s'éteignent et la fosse se voit illuminée de rayons lumineux qui la scannent sans relâche. On entend résonner des bribes de Castle Of Glass au loin. On devine des silhouettes qui s'avancent sur la scène. Et puis, aussi sec qu'un coup de fouet, "Somewhere I Belong" déferle, accompagnant le pas assuré d'un Mike Shinoda visiblement dans son élément, et d'une Emily Armstrong qui, elle, semble beaucoup moins à l'aise. Un choix de titre symboliquement intéressant pour un retour sur scène, vous ne trouvez pas ? Néanmoins, le sentiment de malaise d'Emily va persister, sur la première partie du set, à travers des classiques qui nous sont servis sur un plateau d'argent : "Crawling", "Points Of Authority", "New Divide"... On est touchés par la retenue de la nouvellement nommée chanteuse, pour qui, on le devine, la tâche est ardue. Dur dur de se présenter face à 40 000 personnes pour prendre la suite d'un monument tel que Chester Bennington. Et les premiers titres nous inquiètent tout de même un peu. Emily se cantonne à une voix claire qui dissone avec l'ADN de Linkin Park, et surtout avec ce qu'elle avait pu nous laisser entrevoir lors de l'annonce mondiale de leur retour sur Youtube, il y a quelques semaines seulement de cela.

Et puis, c'est le déclic. Les premières notes d'Emptiness Machine, nouveau titre issu de l'album à paraître, From Zero, résonnent, et Emily et Mike s'avancent, côte à côté sur la bande de scène qui se prolonge jusqu'au cœur du pit. Quelle belle symbolique ! Ils sont, à eux deux, le symbole du renouveau. Mike porte l'héritage d'une identité qu'il a en partie construite, Emily représente le nouveau souffle et l'avenir de la formation. Et cette dernière semble enfin révéler ses vraies couleurs, comme si elle attendait un titre qui la représente pour se dévoiler au public.

Le live prend un autre visage. Emily nous dévoile son timbre extrêmement particulier qui ne délaisse pour autant pas la justesse et la technicité. Les titres s'enchaînent avec une énergie folle qui ne laisse que peu de répit au public. Car oui, les intermèdes et le blablatage, ce n'est pas la came de ce Linkin Park 2.0. On aura à peine quelques balbutiements en français, qui auront le mérite de nous faire rire, mais dont le naturel est franchement loin. Ce n'est pas grave. Le manque de spontanéité sur un show de cet ampleur n'est finalement que le gage d'un travail acharné.

Il y a eu des moments plus forts que d'autres durant cette soirée. "Castle Of Glass" aura fait s'illuminer la fosse de milliers de petites lueurs qui formaient une véritable constellation sous la voute de la Défense Arena. Et, quasiment sans transition, c'est Joe Hahn qui nous a propulsé dans un solo futuriste, électronique et résolument à propos. Puis, ce fut au tour de Mike de s'aventurer seul sur une tirade composée de "When They Come For Me" et "Remember The Name". Et nous aurons eu l'honneur d'être les premiers à entendre un tout nouveau morceau paru quelques jours avant , "Over Each Other", duo assez différent de l'ADN de Linkin Park, mais qui permet néanmoins d'assoir la force de cette nouvelle ère de la formation.

"Given Up" nous laisse sans voix quant aux capacités vocales d'Emily Armstrong. Comme le disait Courtney Laplante (Spiritbox) lors d'une interview, nul besoin de grimacer pour aller chercher des notes invraisemblables. Et c'est exactement l'effet que nous a fait Emily sur certains titres, notamment celui-ci. Son visage reste immuable alors que sa voix hurle l'émotion et la puissance. C'est une technicienne hors paire dotée d'une certaine humilité qui nous marque beaucoup et que s'accorde parfaitement avec le reste de la formation, musicalement, certes, mais pas que. Linkin Park n'a jamais été groupe à en mettre plein la vue par des effets scénographiques démesurés. C'est une formation authentique, et cette marque de fabrique se retrouve parfaitement chez Emily. On a aussi frissonné lorsque la foule a hurlé d'une même voix puissante un exceptionnel "Shut up when I'm talking to you" sur "One Step Closer". Tout un symbole.

Un moment de franche rigolade, en revanche, c'est sur ce circle pit complètement impromptu sur "Breaking The Habit". Encore une démonstration du fait que Linkin Park est à la croisée des genres, que les metalleux ne sont jamais bien loin, et avides de moshpit.

"Lost" et "My December" ont encore été prétextes a apprécier le talent de la chanteuse qui s'illustre aussi bien sur une voix claire maitrisée que sur ses envolées screamées diablement efficaces.

La fin du set est clairement un enchaînement de très grands classiques de Linkin Park, les titres que tous ceux dans l'assemblée sont venus hurler pour communier avec les âmes qui ont Linkin Park dans un coin de leur tête et de leur cœur depuis près de trente ans. Parce que Linkin Park, pour la génération des trentenaires et quarantenaires, ce n'est pas seulement un groupe, c'est une véritable part d'identité. Beaucoup de ceux qui se sont rués sur les billets ne l'ont pas uniquement fait pour la musique, mais pour ce que ce groupe représente. Une madeleine de Proust. La nostalgie des années collège et lycée. Un fond sonore qui a accompagné bien des moments de vie. Alors, quand s'enchaînent "In the End", "Faint" et "Papercut", c'est le délire absolu dans la Défense Arena.

On se quitte finalement avec "Heavy Is The Crown", une des nouvelles productions du groupe qui a réveillé tous les geeks de la salle, et "Bleed It Out".

Alors, que dire de cette soirée ? Eh bien, qu'"Heavy Is The Crown" n'a jamais été aussi à propos. Emily Armstrong s'affiche en digne frontwoman d'une formation, et même d'un empire, au passé glorieux, mais dont l'avenir s'annonce tout aussi lumineux. Nul présent ce soir ne pourrait honnêtement contester la légitimité et la place d'Emily au sein de Linkin Park dans sa nouvelle forme. Alors certes, le poids de l'héritage est compliqué à encaisser pour certains, et c'est une réaction aussi logique que compréhensible. On a d'ailleurs été assez surpris de voir le show se dérouler, de bout en bout, comme si la dernière tournée du groupe datait d'il y a quelques mois. On n'a jamais ressenti ces 7 ans d'absence, ce qui est à la fois positif et négatif. Et à vrai dire, on aurait aimé que Mike et sa bande s'ouvrent un peu plus à nous, à leurs fans qui ont patienté et accueilli leur retour à bras ouverts. Ceux qui sont là depuis toujours et qui continueront de l'être. Démarrer un nouveau chapitre passe par la clôture du précédent, et si le deuil est personnel, les 40 000 personnes présentes ce soir prouvent bien que Linkin Park va bien au-delà d'un individu. C'est une communauté, presque une famille... qui aurait sans doute apprécié quelques mots, un hommage à Chester, quelque chose qui nous permette de tourner le regard vers l'avenir de la meilleure des manières. On a aussi été assez surpris de constater que les musiciens ont pris une place de figurants, et sauf erreur, il ne nous semble pas qu'il ait été seulement présentés. Alors, peut-être faut-il laisser le temps au temps. Linkin Park s'est doté de nouvelles silhouettes dans ses rangs, et chacun doit encore trouver sa place.

En tous cas, de notre côté, on n'a aucun doute sur le fait que l'avenir est assuré pour ces légendes du Nu Metal.

Texte : Annaelle Moss

Photos : François Capdeville (Linkin Park). Les photos de Sleep Token sont celles du photographe officielle du groupe [DR]

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