Si comme moi vous arpentez les sous-genres musicaux à la recherche de sonorités innovantes, créatives, surprenantes et toujours très heavy, ne cherchez pas plus loin. Suivez-moi dans ces quelques paragraphes afin d’explorer l’univers unique de Psychonaut et l’inclassable musique de Doodseskader, que nous avons la chance de soutenir lors de leur concert au Petit Bain, Paris, le 6 octobre dernier.
En ce doux vendredi d’automne, j’ai du vague à l’âme. Mais ce sentiment laisse place à une hâte tandis que je me dirige vers l’une des salles de concert les plus atypiques de Paris. Le Petit Bain accueille un large panel de musicien.e.s à la croisée des genres musicaux, invité.e.s à jouer… Sur l’eau ! Je monte à bord de ce bateau-péniche-salle de concert flottante et aussitôt j’aperçois les membres de Psychonaut profiter de quelques heures de répit avant leur grand soir. Le calme avant la tempête. Je suis ravie car j’ai eu l’honneur d’échanger avec eux au cours d’une interview à retrouver sur notre site. Cette interview fut un véritable moment de partage avec les musiciens : en me confiant leurs inspirations, techniques, difficultés, préférences et questionnements, les membres de Psychonaut nous ont donné quelques indices afin d’appréhender leur monde, entre le post-metal et le psychédélique atmosphérique.
Doodseskader : rave démoniaque et expérimentale
Le ciel est encore clair sur le pont du Petit Bain alors que le sol commence à vibrer.On aurait dit qu’une éruption volcanique se préparait et ce n’était pas tout à fait faux. Je m’engouffre dans ce qui semble être la cabine du capitaine, mais qui n’est d’autre que l’entrée vers la salle de concert. Deux musiciens se dressent alors devant moi, formant à eux seuls le groupe Doodseskader formé depuis 2020 à Gand en Belgique. Un des deux visages s’éclaircit devant mes yeux : il s’agit de Tim De Gieter du mythique groupe Amenra, prêtant sa basse et sa voix à ce projet si singulier, en collaboration avec Sigfried Burroughs à la batterie et chant.
Sans attendre, le groupe nous plonge dans une atmosphère sombre et énigmatique et attise notre curiosité. Avec « Illusion Of Self », la voix de Tim De Gieter et les sons désaccordés qui se répandent aux quatre coins de la salle se joignent pour produire un son post-punk-sludge ardent et inédit. Tel un mouvement de l’âme, la voix s’élève de plus belle et résonne dans la salle, tranchante et métallique. La lourdeur sans précédente des sons lents ne sont pas sans rappeler le puissant post-doom de PredatoryVoid, dans lequel on retrouve également le bassiste.
On passe du doom au post-core et l’ambiance se métamorphose radicalement avec « BloodFeud » : un cri du fond de la gorge dont les paroles et l’intensité nous projettent dans un univers à la fois rap et electro dans lequel alterne l’instru et le scream. Il faut l’écouter pour le croire et le résultat est réfléchi à la note près. Le duo maîtrise à la perfection ses transitions et intègre des passages atmosphériques suivis d’un brutal retour à la réalité provoqué par un son core, et vise-versa. À ce moment du concert, je me dis que Doodseskader est capable de tout.
Avec « It’s Not An Addiction If You Do Not Feel Like Quitting »et « Bloemen Noch Kransen »,les deux musiciens nous présentent quelque chose d’absolument unique : unique en intensité, en expérimentation, en tentations. Les lignes de voix râpeuses rythment les plages sonores sanglantes. Il y a tant à analyser et dépecer car le combo a énormément de choses sur le cœur à exprimer dans leur musique.L’utilisation irrégulière de textures électroniques et planantes me donnent l’impression que c’est peut-être ce qu’aurait donné le duo Air s’ils s’étaient rencontrés aux enfers. Terrorisant et addictif, Doodseskader s’écoute comme on regarde un excellent film d’horreur.
Cependant, un morceau me marque plus que les autres.La lourdeur de « I Hope You FindJoy In Your Ignorance » est brisée par des accords post-punk. Ce titre contient d’impressionnants passages atmosphériques avec une batterie presque en apesanteur, rattrapés par une épaisseur lourde et électrique qui nous ramène brutalement sur terre, que dis-je, sous terre. J’ai le sentiment d’être arrivée aux enfers et croyez-moi, c’est un compliment. Par ailleurs, le groupe porte fièrement son nom : ce sludge-expérimental signifie« Escadron de la mort », en néerlandais.
Finalement, « Still Haven’t Killed Myself » et « FLF » laissent place à une instru dark sur laquelle s’harmonise le chat rap et heavy, passant de l’anglais au néerlandais au français et inversement. Doodseskader nous a ouvert la porte d’entrée vers leur univers musical cru, sombre et intense digne d’une rave party démoniaque.
Psychonaut : voyage cosmique en métamorphose permanente
À peine ai-je le temps de me remettre de mes émotions et Psychonaut apparaît sur la scène de cette salle de concert sur l’eau. Originaires de Malines, ce trio belge présente une interprétation contemporaine et unique du post-metal.
Le son du groupe s’impose en une seconde. Les premiers riffs du guitariste Stefan De Graef dans « AllYour Gods Have Gone » nous emportent déjà faire le tour du monde de Psychonaut. Une nouvelle définition dece que qu’on appelle « heaviness » dans la musique s’articule avec ce que les musiciens offrent en ouvrant leur performance. Contrastant fortement avec le groupe précédent, on sort du tréfonds des enfers pour s’élever en apesanteur. Cette atmosphère cosmique est dressée parla guitare de Stefan De Graef, la basse endiablée de Thomas Michiels et les coups de cymbales de Harm Peters. Provenant de leur dernier album Violate Consensus Reality sorti en 2022, cette chanson introduit le nouveau son du groupe.
J’observe alors un retour aux sources avec « Halls of Amenti » du premier album de Psychonaut Unfold the God Man. La lourdeur vertigineuse des parties instrumentales raconte par elle-même une histoire heavy, une histoire clarifiée par la voix de Thomas Michiels et intensifiée par les screams de Stefan De Graef. Le tout est généreusement ponctué de passages aériens et atmosphériques qui ajoutent intelligemment beaucoup d’espace dans la composition du morceau. On assiste alors à un magnifique voyage cosmique en permanent renouveau.
Comme l’indique habilement son nom, je conçois « A Storm Approaching » comme la porte d’entrée vers l’univers en ébullition de Psychonaut. Alors que le groupe nous dit d’entrer dans la tempête, on retrouve un aspect progy ce qui offre alors une réinterprétation du prog métal et de l’épique progressif. Avec ce titre, les musiciens déroulent prudemment leurs talents, le résultat est tout simplement époustouflant et j’ai du mal à en croire mes tympans : par des arrangements conscients et à seulement trois interprètes, Psychonaut arrive à déployer un ardent arsenal musical.$
Lorsque débute la chanson « Violate Consensus Reality », les fans les plus méticuleux et connaisseurs abordent un large sourire en reconnaissant la voix de Stefanie Mannaerts du groupe Brutus ainsi que Colin H. van Eeckhout de Amenra. Je constate quelques personnes perdues dans la foule qui les cherchent des yeux, en vain. Ils ont bel et bien contribué à l’enregistrement de ce morceau mais ne font que quelques apparitions lors de dates sélectives. J’ai moi-même eu la chance d’écouter ce magnifique morceau avec Stefanie Mannaerts en chair et en os lorsque je découvrais pour la première fois Psychonaut sur scène à Gand en avril dernier. Je lui découvre un timbre que je ne connaissais pas dans les registres de son propre groupe, une voix presque néo-folk se mariant parfaitement avec l’atmosphère harmonique créée en direct par les musiciens sur scène. Le blast réfléchi et maîtrisé de Harm Peters fait furieusement monter en intensité ce cadre musical.
Après la merveille instrumentale que constitue « All I Saw as a Huge Monkey », je reconnais le morceau « Interbeing ». De subtiles influences 70s, psychédéliques et stoner produites par la guitare m’évoquent certains passages du groupe Elder. Dans ce titre, le duo de voix alterne dans son intensité ce qui apporte une dimension puissante au résultat. Cette montée en puissance atteint une forme d’apogée avec « A Pacifist's Guide to Violence», donnant le ton du nouvel album de Psychonaut. Le trio conclut cette superbe date avec « The Fall of Consciousness ».
Les trois musiciens descendent de scène et échangent de plus belle avec la foule en leur accueillant au stand de merch. Ce groupe dégage un esprit très chaleureux, nous partageons cette familiarité que constitue l'amour de la musique. Je me réjouis déjà de les retrouver sur scène.
Live Report par Garance AMELINE
Photographies par David DAUPHIN @dwidouphotography pour Rock Metal Mag